Le Dr Dominique Ngou Pekassa revient sur la genèse de son ouvrage « Sœur Dominique Chemello Ida : une vie, un don pour l’Afrique ». Elle partage les raisons profondes qui l’ont conduite à raconter l’histoire de cette femme exceptionnelle, dont la vie et l’œuvre ont marqué de nombreuses générations.
Docteur, vous avez écrit un ouvrage intitulé « Sœur Dominique Chemello Ida : une vie, un don pour l’Afrique ». Pourquoi le profil de Sœur Dominique Chemello Ida en particulier pour cette biographie ?
J’ai choisi son profil parce que c’est une présence qui a marqué ma vie dès la naissance. Je suis née à six mois deux semaines à Nkilzok, dispensaire de la Mefou d’alors, où la sœur Dominique travaillait. Je pesais à peine 1kg 200 grammes et la sœur qui assistait ma mère pour l’accouchement, a pris sur elle de me garder au dispensaire pour s’occuper de moi pendant quelques semaines, afin d’assurer ma survie.
De manière fortuite, lors d’une visite privée à Mfou en 2016, je vais sur les pas de mon enfance à Nkilzok et une fois au dispensaire, je tombe sur la sœur Dominique. Je me présente à elle et la joie des retrouvailles est immense.
Au fur et à mesure que je fréquente la sœur Dominique, je réalise que je ne suis pas la seule à avoir bénéficié de sa passion pour son travail. De plus, elle n’a pas seulement œuvré dans le domaine de la santé. Elle a aussi accompagné de nombreuses familles dans l’éducation, le volet spirituel, moral et psychologique.
Je me suis dit que pour tout ce qu’elle a fait pour l’Église, pour les hommes, pour le peuple de Dieu, il serait bon que cela puisse se savoir et que je la présente officiellement au monde. C’est un acte de gratitude, de reconnaissance, mais surtout une volonté manifeste d’amener les personnes magnifiques comme elle, à prendre réellement conscience de leurs œuvres et actions pour la postérité.
Quelles sont les coulisses de la rédaction de cet ouvrage ? Combien de temps avez-vous mis pour le rédiger ? Et comment avez-vous procédé ?
L’idée de la rédaction de cet ouvrage a été partagée avec la sœur il y a à peu près deux ans. D’abord, lors d’une visite que je lui ai rendue à Elat en juillet 2022. Puis, lors du séjour qu’elle a passé chez moi avec ma famille en février 2023, au cours duquel je lui réitérais ma volonté lui dédier un ouvrage qui mettrait en valeur son travail et son parcours. Elle a favorablement accueilli l’idée.
En avril 2023, je lance véritablement le projet, après avoir trouvé la bonne formule pour l’ouvrage et les différents angles par lesquels je devrais pouvoir saisir sa rédaction. Je me fixe alors sur l’idée d’une biographie, permettant de raconter la sœur Dominique à travers son propre récit de vie, mais aussi à travers les témoignages des autres personnes qu’elle a côtoyées. Je commence donc à rassembler tout document, toute image, tout souvenir pouvant faciliter la rédaction de la biographie.
A côté de cela, je mobilise le journaliste Bonté Modeste Nkoue mon ancien étudiant, avec qui je prépare les différents protocoles d’interviews, suivant des orientations précises. Stéphanie Manga, journaliste et camarade de classe de Bonté, est aussi sollicitée pour la rédaction des textes sur la genèse et les missions de la Congrégation des Sœurs Franciscaines.
L’ouvrage prend progressivement forme et en juin 2024, le projet, après relecture minutieuse de plusieurs experts recrutés dans le secteur académique et religieux, est soumis à l’attention de l’Archevêque métropolitain de Yaoundé, Mgr Jean MBARGA. Celui-ci ne trouve aucune objection à sa publication et sollicite que la préface de l’ouvrage soit endossée par la Congrégation de la sœur Dominique.
Le 5 décembre 2024, je reçois la préface de la Sœur Bertha NGWANHI, Supérieure Vice Provinciale des sœurs franciscaines en même temps que l’invitation pour la célébration du Jubilé des 60 ans de la Sœur Dominique.
A partir de ce moment, je finalise le processus de production, en contactant précisément l’éditeur pour l’ultime mise en forme de l’ouvrage. Cette dynamique a permis sa présentation et dédicace lors de la célébration du Jubilé le 28 décembre 2024. Donc au final, le projet aura duré 20 mois.
Dans un contexte où les biographies sont souvent idéalisées, comment avez-vous veillé à ce que l’histoire de Sœur Dominique demeure fidèle à la réalité, avec ses défis et ses réussites, sans tomber dans la glorification excessive ?
Il est vrai que les biographies ont pour but et objectif de célébrer des personnes, dans ce qu’elles sont et représentent. Mais les célébrer aussi dans ce qu’elles ont fait, dans leur manière d’avoir marqué leur temps. Le témoignage fait par la sœur elle-même sur sa vie dévoile des aspects péjoratifs de son caractère.
Par sa modestie, son humilité, sa franchise, la sœur a su libérer les facettes de son comportement qui ne la glorifient pas. Je veux penser à sa rigueur, à sa mauvaise humeur, à son intransigeance, à sa colère parfois peu maîtrisée et à ses moments de faiblesse. Par ailleurs, les témoignages des autres personnes ont également donné de préserver la distance nécessaire, en ce sens qu’ils ont corroboré les propos de la sœur.
Mais au fond, vous savez bien qu’on a des comportements qui peuvent être perçus par certains comme des défauts, mais par d’autres comme des qualités. Donc dans cette relativité, il serait difficile de penser à une glorification de la sœur à travers cet ouvrage. Il a davantage été question de présenter la sœur du point de vue de ses différentes facettes. Si cette reconnaissance peut aboutir à une béatification de la sœur Dominique, alors ma reconnaissance aura reçu l’écho escompté.
À une époque où de plus en plus de personnes cherchent à s’accomplir à travers des projets personnels, quel enseignement peut-on tirer de la vie de Sœur Dominique, dont le service a été entièrement dédié à autrui pendant six décennies ?
Il y a des choses dans la vie que l’on multiplie en les partageant. C’est le cas de l’amour. Le parcours de la sœur a été imprégné d’amour. L’amour-patience, l’amour-charité, l’amour-don de soi, l’amour-pardon. Ceux qui gardent par devers eux l’amour ne s’enrichissent pas, mais s’appauvrissent. La sœur l’a compris. Elle a donné son amour de manière gratuite et naturelle, et continue de le faire.
Elle a donné tout ce qu’elle avait, dans des conditions parfois très difficiles, précaires, et dans des environnements souvent hostiles. Son don total est un exemple à suivre dans la société. Aimer les autres, les accompagner, leur apporter un soutien vrai et entier enrichit, rend plus fort. C’est d’ailleurs sur cette question que je pense me pencher pour mon prochain projet éditorial, précisément sur « L’amour (qui) ne ment pas ».
L’amour que l’on donne est objet de fortification et prospérité. L’amour vrai, pur, sincère, entier ne détruit pas, ne trahit pas. Il est source de grâce et de bénédiction.
Il ne saurait donc mentir en ce sens qu’il est un investissement sûr dont on récolte d’immenses fruits. Mais lorsqu’on s’inscrit à l’opposé de cela, que l’on est égocentrique, égoïste, centré sur soi, il est fort probable que l’on ait en retour, comme un effet boomerang, ce que l’on aura construit, la perdition.
Comment l’ouvrage a-t-il été reçu, tant par les lecteurs que par la communauté religieuse et les autorités locales ? Y a-t-il eu des réactions particulières qui vous ont touchée ?
L’ouvrage a été très bien accueilli par les divers publics. Je pense tout d’abord à la cible religieuse, précisément la congrégation de la sœur et aux autres consacrés pour qui le livre est un cadeau. Un cadeau pour ce que la sœur a représenté pour sa communauté, mais un cadeau pour la communauté elle-même représentée par la sœur.
La communauté, à travers sa Supérieure vice provinciale, s’est donc sentie honorée par cette biographie. Le large public a été aussi sensible à cette sortie littéraire. Je reçois beaucoup d’encouragements de mes confrères de la presse, des parents, amis, collègues, professionnels de divers corps de métiers, des communautés et même des inconnus.
Je mesure par cette sortie l’estime que l’on me porte mais également les jalons que j’ai tracé à divers niveaux de mon parcours professionnel, social et académique. Je sais désormais que je suis attendue sur ce sentier et je ne faillirais point.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes générations, tant en Afrique qu’ailleurs, à travers l’histoire de Sœur Dominique ?
Cet ouvrage devrait être une interpellation pour les jeunes générations à plusieurs niveaux. Le premier est celui du travail. Aujourd’hui, on observe un attrait pour la facilité, pour des sauts quantitatifs et non qualitatifs, pour l’accès rapide à certaines choses. Cette interpellation devrait éveiller les consciences et conduire au changement. Le travail est l’une des clés maîtresses du succès. Aucun travail ne se perd.
Lorsque l’on travaille avec engouement, avec détermination, avec sérieux, la récompense est toujours au rendez-vous. Elle peut traîner, tarder, mais lorsqu’on persévère, elle arrive toujours au bon moment. La deuxième interpellation est celle de l’amour gratuit. L’amour ne ment pas. Ce que l’on donne, on le reçoit. Il faut donner. C’est dans le don, pur, sincère, que l’on récolte les grâces. Il y a des décennies que la sœur Dominique a porté un geste salutaire sur ma modeste personne, avec amour, sans calcul.
Sa biographie, plusieurs années après, est l’une des récompenses de cet amour. Elle en reçoit certainement d’autres, encore plus grandes. La troisième interpellation est celle de la reconnaissance. Il faut savoir être en action de grâce permanente pour le bien que l’on reçoit. Les jeunes ont quelques fois tendance à se focaliser sur ce qu’ils n’ont pas et cela les détruit, distrait et disperse. Etre reconnaissant nourrit l’esprit, l’âme et grandit. Alors il faut dire merci pour ce que l’on est, ce que l’on a et ce que l’on reçoit.
Avez-vous d’autres projets d’écriture en cours ou à venir, et si oui, pourriez-vous nous en parler ?
Je me définis comme quelqu’un de fertile et la fertilité voudrait que la production se pérennise. C’est pourquoi je ne saurais m’arrêter à cette biographie. D’autres projets sont en cours, scientifiques et littéraires. A côté de celui annoncé plus haut, il est en projet l’édition d’un ouvrage scientifique qui mettra en lumière mes travaux de recherche sur les schèmes de convergence et d’hybridation entre le journalisme et la communication.
Bien que ces deux champs soient construits d’un point de vue épistémologique comme opposés, d’un point de vue empirique, ils convergent en plusieurs points. La recherche montre comment l’environnement sociologique partagé par les professionnels des deux champs, leur cohabitation, leur interaction favorisent des points de jonction entre le journalisme et la communication. Si je ne rencontre pas de défis majeurs, je devrais, d’ici 2027, avoir présenté les deux projets au public.