Ils ne sont pas au courant, ces bleus, de l’ambiance qui régnait dans le fameux bus qui partait de la Poste centrale pour l’entrée du campus de Soa et vice-versa. Il faut avoir une ancienneté certaine pour aller retrouver au fond de sa mémoire, des images et sons indélébiles. Pour emprunter cette caisse de l’ambiance, l’étudiant déboursait 150 francs Cfa au début, puis 200 francs. Le matin, l’ambiance était morose. Tout le monde voulait juste rallier le campus avant le début des cours ou des examens. La fluidité de la circulation aidant tôt le matin, le service était très vite rendu. De bons senteurs parfumaient l’intérieur. Au retour, avec le poids de la journée, certains passagers voulaient rentrer en vitesse.
Mais il fallait attendre parfois longtemps le gros porteur en rang. Une fois arrivé, c’était parfois la débandade. Tout le monde voulant entrer pour occuper une place assise. Mais il n’y en avait que 25. C’est pourquoi les gros bras qui accompagnaient le chauffeur jouaient les nerveux. Mais, tandis que les plus disciplinés cherchaient les premières places, les plus vicieux voulaient rester debout. Ils avaient déjà fait un, deux ou trois tours au restaurant universitaire. Ils ne manquaient pas d’énergie pour rester debout. D’ailleurs c’était leur position privilégiée.
Ils avaient un plan. Ils faisaient tout pour s’agripper derrière une fille. Dans une ambiance surchauffée de chants et de bavardage, l’action du chauffeur sur la pédale de frein déclenchait tout. Et tout basculait alors vers l’avant. Le pied levé, tout revenait en arrière. Les cris d’alerte résonnaient. « Chauffeur freine », entendait-on d’une voix folle. Le silence répondait. Le mouvement répété deux à trois fois, actionnait le démarrage. La situation s’aggravait en cas d’embouteillage et la cible fatiguée, d’une voix tremblotante, lâchait : « Doucement chauffeur… Chauffeur pardon » un éclat de rire montait en chœur.